Chronicles

THE WRITINGS OF FAUCON

You will find several articles dealing with mainly social trends relate to a couples life.  Mr. Leblanc is a columnist for various newspapers and magazines and his writing style says a lot about him.  Hot topics, sprinkled with humor, there is something for any and all readers.

CHRONIQUE
L’AMOUR ET L’ARGENT: UN COUPLE PAS SI IRRÉCONCILIABLE (published on 12 September 2017)
Pas facile de parler d’argent avec sa ou son partenaire de vie. Alors, sujet tabou, les finances conjugales? Plus maintenant, grâce au livre L’amour et l’argent, guide de survie en 60 questions. Entrevue avec son auteure, Hélène Belleau.

Ah, le fric, le blé, le cash, le pognon… pas évident de parler oseille sur l’oreiller, papier-monnaie dans la chambre à coucher! Pas question, ici, des petites dépenses du quotidien, mais bien des grands enjeux: la mise en commun ou non des revenus, l’inégalité des salaires entre hommes et femmes qui pénalisent toujours ces dernières, la répartition des biens au sein du couple, la planification de la retraite, etc.
Hélène Belleau, sociologue à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), spécialiste de la famille, du couple et de l’usage social de l’argent, a cherché à comprendre pourquoi l’argent dans le couple reste encore souvent une boîte de Pandore «qu’on laisse dans un coin, avec un couvercle dessus», en attendant que les choses se règlent toutes seules. Elle publie aux Éditions du remue-ménage, avec Delphine Lobet, un livre intitulé L’amour et l’argent, guide de survie en 60 questions. Entrevue.

Avec votre livre, souhaitez-vous faire tomber un tabou?
Culturellement, l’argent est perçu comme un agent qui corrompt les relations intimes, les dénature et engendre la dispute. En général, quand on associe argent et famille, c’est en faisant référence aux chicanes d’héritage ou aux séparations qui ont mal tourné. Ce qu’on oublie, mais qui est tout aussi présent, c’est que l’argent est un support de la relation de couple et qu’il a des aspects positifs. Au début d’une relation amoureuse, par exemple, on se montre très généreux, on s’offre des cadeaux: l’argent renforce le côté positif de la relation. Au quotidien, les gens parlent d’argent sans problème, des dépenses qu’ils ont, de leurs frais d’épicerie et de pharmacie... Le tabou se situe davantage dans l’organisation financière au sein du couple et de ses conséquences à long terme. Quatre personnes sur dix disent que leur gestion de l’argent s’est mise en place naturellement, sans qu’elles aient besoin d’en parler. Si bien que leur organisation financière, qui peut être insatisfaisante, n’est jamais remise en question.
Comment, alors, au sein du couple, faire évoluer notre rapport à l’argent?
Notre rapport à l’argent est lié au rapport amoureux. Socialement, le rapport amoureux répond à certaines valeurs. Il y a une grammaire ou, si l’on veut, un code des rapports amoureux. L’un de ces codes est le suivant: le couple doit passer avant les intérêts personnels. Dans ces conditions, comment dire à mon partenaire que la manière dont notre organisation financière fonctionne n’est pas équitable et que mes intérêts personnels sont lésés? C’est délicat d’en parler de façon aussi ouverte, aussi crue. Le contrat de vie commune illustre cet impact du code des rapports amoureux sur notre rapport à l’argent. Très peu de gens finalisent ce contrat. Pourquoi? Parce que dès qu’ils entrent dans le bureau du notaire, on leur demande de faire la liste de ce qui leur appartient et de ce qui appartient à leur conjoint, et comment sont partagés tous ces biens. Immédiatement, cette situation oppose les conjoints. Les deux doivent mettre leur intérêt personnel de l’avant, et c’est très inconfortable.
Comment dépasser cet inconfort?
Là encore, les codes qui régissent les rapports amoureux peuvent avoir une influence. La communication, par exemple, est souvent présentée – dans tous les magazines féminins, notamment – comme la solution. On donne l’impression que si la communication est bonne, la relation ira bien. Or, ce n’est pas ce que nous avançons dans le livre. Si vous êtes capables de parler de vos arrangements financiers, très bien, la lecture de ce livre vous permettra d’alimenter la discussion. Mais, en le lisant, vous pouvez aussi prendre conscience de la mécanique qui est à l’œuvre dans votre couple, dans vos arrangements financiers, et chercher des façons plus simples de fonctionner.
Prenons l’exemple d’une femme qui réalise qu’elle aurait intérêt à être mariée à son amoureux. Pour lui présenter les choses, elle a en général deux options. Soit elle dit: «On devrait se marier car, s’il y a rupture, je me trouverai dans une situation économique moins avantageuse parce que j’aurai pris soin des enfants ou que je t’aurai suivi pour que tu puisses occuper ton emploi», etc. Dans la logique du rapport amoureux, en général, le conjoint retourne l’argument avec ce genre de réponses: «Est-ce que tu as l’intention de me quitter?» ou bien: «On se connaît depuis tellement longtemps que, même si on devait se séparer, je ne te laisserai pas dans la rue…» La seconde option consiste à dire: «Ce serait bien qu’on se marie pour les enfants.» Voilà qui change complètement l’approche. Les intérêts du couple et de la famille sont mis de l’avant, et non les intérêts individuels. Mais il n’y a pas de solution toute faite. Il y a même autant de façons de faire qu’il existe de couples!
Vous écrivez que les médias traitent beaucoup des questions d’argent, mais presque toujours d’un point de vue individuel ou en considérant le couple comme un tout, sans distinguer les conjoints et les rapports qu’ils entretiennent entre eux...
Oui, on trouve une profusion de conseils sur les placements, la bourse, la déclaration de revenus, la planification de la retraite… Mais on entend rarement parler de la manière dont l’argent circule à l’intérieur des ménages. Si vous demandez, par exemple, ce qu’est un revenu, vous aurez, d’un côté, des personnes qui répondront que le revenu d’emploi est personnel; elles en versent une partie dans le compte conjoint et contribuent ainsi au projet du couple ou au projet familial. De l’autre côté, vous aurez des personnes qui affirmeront qu’un revenu d’emploi est un revenu familial. Ce sont deux approches différentes, mais qui peuvent exister au sein d’un couple. Il est donc important d’en avoir conscience et de pouvoir en parler sans provoquer de malaise.
Votre livre consacre une partie importante aux enjeux juridiques: mariage vs union de fait, divorce, etc. Pourquoi?
Toutes nos politiques sociales et fiscales sont basées sur l’idée qu’il n’existe rien en dehors du revenu familial et que ce principe du «revenu familial» ne devrait pas être remis en cause. Pourtant, des enquêtes démontrent qu’il existe dans d’autres pays différentes formes d’arrangement économique entre les conjoints et différentes formes de redistribution au sein du ménage. Il ne s’agit plus à proprement parler d’un revenu familial comme on l’entend au Québec. D’autres modèles existent. Certains exemples québécois récents, comme la modulation des services de garde en fonction du revenu du ménage, peuvent poser problème. Ainsi, dans une famille recomposée, le parent paie pour ses enfants, son nouveau conjoint n’étant pas contraint de participer, même s’il touche un salaire plus élevé. Ce sont donc les parents séparés qui doivent supporter la modulation. Les politiques sociales doivent s’adapter aux nouvelles réalités du couple et des familles. Nous faisons le pari que ce livre touchera beaucoup de gens et que ces réflexions finiront par parvenir aux oreilles de celles et ceux qui font les lois! Les avancées en matière d’égalité passent par les prises de conscience individuelles tout autant que par le débat social. Car c’est là aussi que le changement social se construit, dans nos cuisines et nos chambres à coucher.


Par : Rémi Leroux
Sur : www.protegez-vous.ca