Chronicles
THE WRITINGS OF FAUCON
You will find several articles dealing with mainly social trends relate to a couples life. Mr. Leblanc is a columnist for various newspapers and magazines and his writing style says a lot about him. Hot topics, sprinkled with humor, there is something for any and all readers.
Le monde des riches est un univers très stratifié. Pour y tenir son rang, il faut faire montre de beaucoup de dépenses de prestige : produits de luxe et généreuses donations, le but ultime de la richesse étant d'être reconnu. et cela coûte très cher.
Le milliardaire Tim Blixseth a fait fortune dans le bois de construction. Parti de presque rien, il est devenu rapidement un magnat du secteur aux États-Unis. À l’âge de 40 ans, ayant revendu ses sociétés, il pouvait partir en retraite. Sa fortune est colossale, évaluée à 2 milliards de dollars. Il possède de somptueuses résidences secondaires, des avions privés, des yachts et des voitures de luxe. 105 personnes sont employées à son service pour entretenir tout cela !
T. Blixseth est l’un des personnages croisés par Robert Frank, reporter au Wall Street Journal, qui a mené une enquête sur les nouveaux riches américains : une population en plein boom qui forme un club désormais pas si fermé que cela. Le nombre des riches a en effet doublé en quinze ans passant, aux États-Unis, à plus de 8 millions de personnes. Cela représente tout de même l’équivalent de la population d’un pays comme l’Autriche. Et ces nouveaux riches forment comme un petit État que R. Frank s’est amusé à baptiser Richistan (1).
Les nouveaux milliardaires
Pour comprendre les humains, il est intéressant de les observer en situation extrême. La grande richesse en est une.
T. Blixseth n’a rien du milliardaire clinquant. Il ne s’habille pas chez les grands couturiers, mais porte jean et tee-shirt. Il ne circule pas à l’arrière d’une Rolls-Royce conduite par un chauffeur mais prend lui-même le volant d’une de ses Bentley. Il aime se décrire comme « un type normal ». Il est surtout très occupé. Depuis sa retraite, il n’est pas resté inactif. C’est un véritable « serial entrepreneur », un manager compulsif qui a fondé plusieurs sociétés en quinze ans. Son principal succès est la création de Yellowstone Club, un lieu de villégiature pour millionnaires installé dans le Montana, avec chalets de grand luxe, station de ski et terrain de golf.
T. Blixseth a aussi d’autres activités comme la gestion de sa fondation caritative ou l’animation d’une société de production musicale. Il ne se contente pas de produire de jeunes auteurs, il compose lui-même des chansons et ne se fait pas prier pour se mettre au piano en présence d’invités. Depuis qu’il est à la retraite, Tim n’a donc pas une minute à lui. Il travaille quinze heures par jour, autant que dans sa vie professionnelle antérieure. La plupart des riches rencontrés par R. Frank sont ainsi : des rentiers très actifs. Certains deviennent business angels, investissent dans de nouvelles sociétés et aident les jeunes entrepreneurs à démarrer. D’autres se lancent dans une deuxième carrière : musique, politique, écriture ou sport. Certains rachètent un club sportif coté en bourse ; d’autres créent et gèrent leur fondation comme une entreprise.
Première énigme : pourquoi des gens qui pourraient se payer le luxe de flâner des journées entières à jouir de leurs biens éprouvent-ils le besoin de s’activer autant ? Pour une raison simple et fondamentale que l’enquête de R. Frank montre bien : paradoxalement, les rentiers milliardaires souffrent du même mal que les chômeurs et les retraités. En se retirant de la vie active, ils perdent un ingrédient essentiel de l’existence : une place dans la société. Pas facile de décrocher quand vous avez eu des responsabilités, un staff de collaborateurs, une ou deux secrétaires. Les millions de dollars ne suffisent pas à résoudre un besoin humain élémentaire : jouer un rôle social qui permet d’exister à ses yeux et à ceux des autres. T. Blixseth le dit à sa manière : « Il faut bien que je serve à quelque chose. »
Dans l’Antiquité grecque et romaine, les aristocrates aisés tenaient en mépris le travail, celui-ci réservé aux esclaves et aux gens du peuple. Mais, pour autant, les puissants se devaient d’être utiles en participant aux assemblées, en servant dans l’armée (ou au moins en la finançant), en organisant des spectacles gratuits comme les liturgies ou chorégies en Grèce ou les jeux du cirque à Rome (2). Un riche digne de ce nom se doit donc d’être généreux et utile à sa société.
La parade
La dépense somptuaire représente l’autre trait le plus apparent de la richesse (3). L’arsenal du riche se montre assez constant au cours du temps : résidences (palais et châteaux), vêtements et bijoux, objets d’art, moyens de transport (voitures de luxe, yachts et jets privés), réceptions, voyages. Le propre de la consommation ostentatoire est plus d’« épater la galerie » que répondre à un besoin matériel. On n’achète pas une montre Franck Muller à 200 000 euros uniquement pour avoir l’heure précise – ce que n’importe quelle montre de bazar fait très bien – mais pour se mettre en valeur. « Le but de la possession est de démontrer la puissance de son propriétaire (4). » De même que le vêtement de marque ne sert pas à seulement à s’habiller et à tenir chaud. D’où ce paradoxe des biens de luxe appelé « effet Veblen » par les économistes : plus leur prix est élevé, plus ils attirent la demande.
Thorstein Veblen a publié la Théorie de la classe de loisir en 1899. Cette classe de loisir dont il parle est celle des rentiers, jamais si nombreux qu’au tournant du xixe et du xxe siècle. Cette nouvelle classe se compose alors d’une ancienne aristocratie en déclin et d’une nouvelle bourgeoisie enrichie dans les affaires – banque, commerce, industrie – avec la révolution industrielle. C’est l’époque où les classes aisées se rencontrent dans les hôtels et casinos des stations balnéaires, lors de croisières sur les paquebots, dans les stations d’hiver des Alpes ou encore sur les hippodromes. En ville, on donne des réceptions qui sont l’occasion de montrer combien sa résidence est belle, la décoration recherchée, les tenues vestimentaires élégantes, la cuisine et les vins raffinés.
Entrer dans le gotha
C’est l’occasion aussi de montrer son importance à travers celle de son réseau d’amis. Tout l’art de Marcel Proust qui a vécu dans ce monde des rentiers du début du xxe siècle. Du côté de chez Swann (1913) met en scène le salon de madame Verdurin fréquenté par une petite bourgeoisie parisienne composée de nouveaux riches et de petits notables. Madame Verdurin rêve par-devers elle d’accéder à un nouveau statut : entrer dans le gotha des grands salons parisiens où se côtoient aristocrates et grands bourgeois. Et si Swann lui fait l’honneur de venir à ses réceptions, c’est parce qu’il est attiré par la présence de la jeune et belle Odette. Proust décrit avec beaucoup de finesse l’univers des salons mondains parisiens où l’on ne vient que pour se faire voir et valoir, où l’on côtoie des aristocrates flamboyants (parfois sans le sou) et de riches parvenus en quête de notabilité, où l’on aime inviter des artistes ou des écrivains à sa table.
Les stratégies de distinction des élites, racontées par Proust et théorisées par Pierre Bourdieu, s’inscrivent dans le cadre d’un microcosme social très stratifié. Les signes de reconnaissance, souvent très subtils, sont autant de façon de mesurer la place de chacun dans une hiérarchie. Le monde du Richistan est composé de nombreuses strates se distinguant entre elles par le niveau de richesse et de prestige qui détermine assez précisément votre rang social. Les clubs de golf très selects à 20 000 dollars l’abonnement annuel ont été dépassés ces dernières années par des clubs à 50, 100 et même 500 000 dollars l’inscription annuelle ! La taille du yacht n’a cessé également de grandir – il existe des listes d’attente de deux ans pour avoir un yacht de 70 mètres, reléguant au rang inférieur ceux qui paradaient fièrement naguère avec leur yacht de 30 mètres. Vu de loin, tout cela peut paraître dérisoire. Sauf à considérer que l’on touche à une corde très sensible de la psychologie humaine.
Les stratégies de distinction peuvent s’expliquer sur le plan psychologique en terme de « lutte pour la reconnaissance (5) ». Cette soif de reconnaissance pousse chacun à rechercher le regard, l’attention et l’admiration d’autrui. Elle prend la forme d’une lutte car elle se situe toujours dans le cadre d’une rivalité avec d’autres.
La reconnaissance par la philanthropie
Les psychologues parlent de « conflit des ego », René Girard de « rivalité mimétique (6) ». Richard Conniff, auteur d’une Histoire naturelle des très très riches, pense même que ce besoin irrépressible de se faire valoir auprès d’autrui relève d’un instinct social ancré déjà dans le monde animal (7). Les pratiques ostentatoires des riches relèveraient de la même logique démonstrative que la parade du paon. On étale ses biens à la vue d’autrui comme le cerf arbore ses bois ou le gorille son dos argenté. Il ne s’agit de rien d’autre que d’impressionner ses rivaux et de séduire des partenaires. Dans les années 1930 se produisit une bataille épique entre Chrysler et ses rivaux pour savoir qui allait construire la plus haute tour de Manhattan. Au Moyen Âge, les riches évêques des villes d’Île-de-France se livrèrent une bataille symbolique pour construire la cathédrale la plus haute. Les pharaons égyptiens voulaient la pyramide la plus élevée, alors qu’en Mésopotamie, les rois faisaient édifier des ziggourats toujours plus monumentales.
Pour les milliardaires américains d’aujourd’hui, qui se font construire des yachts, « la taille compte » (R. Frank). Vu de loin, ses querelles d’ego peuvent paraître bien dérisoires. On peut mieux les comprendre en la rapportant à un monde plus ordinaire. Admettons que vous faites partie du service clientèle d’une PME. En quelques mois, deux de vos collègues de bureau connaissent une promotion assortie d’une augmentation. Dans l’absolu, votre statut et votre salaire n’ont pas changé ; vous n’avez donc rien perdu. Mais vous avez régressé par rapport à eux. Sauf à admettre que vous êtes moins bon qu’eux, il existe de fortes chances pour que vous ressentiez du ressentiment et un manque de reconnaissance de votre propre valeur. En psychologie sociale, on appelle ce phénomène l’« effet de comparaison sociale ». À tous les échelons de l’échelle sociale, ce n’est pas au vu de notre position absolue que nous jugeons de notre propre réussite, mais au regard de celle des gens qui nous sont proches.
La reconnaissance par la philanthropie
Mais il est une autre façon plus noble d’accroître son prestige. Plutôt que de parader dans les salons et d’étaler sa fortune, le meilleur investissement pour obtenir la reconnaissance universelle est encore d’en redistribuer une partie au profit d’une bonne œuvre, ce que font nombre de milliardaires américains rencontrés par R. Frank. Ils investissent massivement dans la philanthropie, très ancrée dans l’esprit américain. Au début du siècle, John Rockefeller, le magnat du pétrole, reversa une grande partie de sa fortune dans la création de la fondation qui porte son nom, consacrée à l’éducation et la recherche. Trois ans auparavant, Andrew Carnegie, le magnat de l’acier, avait créé sa propre fondation pour la paix universelle (1906). Henry Ford fera de même en 1936. Aujourd’hui, la tradition se poursuit avec Bill Gates, Warren Buffet (encadré p. 46). Et les nombreux jeunes milliardaires de la nouvelle économie ne sont pas en reste. L’anthropologue Marc Abélès leur a même consacré une belle monographie (8).
Quoi de plus gratifiant pour un manager qui a passé sa carrière dans le monde des affaires, souvent brutal et implacable, que de se retrouver tout à coup au côté de quelques enfants pauvres et malheureux et de pouvoir, d’un coup de baguette magique (le stylo Montblanc et un carnet de chèques), changer le cours de leur vie en leur donnant l’accès aux soins et à l’éducation dont ils sont privés. Créer une fondation, donner une partie de son temps et de son argent à une fondation humanitaire, voilà à coup sûr le moyen de se racheter de toutes ses fautes, de devenir un héros, un saint, un bienfaiteur de l’humanité. Lier son nom pour des générations à une bonne œuvre : un hôpital, une université et des bourses pour les plus démunis. C’est le moyen d’atteindre une forme de gloire pour l’éternité.
C’est humain, mais c’est ainsi. Que voulez-vous, les riches sont des gens comme les autres, ils ne veulent pas simplement être riches, ils veulent aussi être reconnus. De plus, ils en ont les moyens.
Par: Jean-François Dortier
Sur: www.scienceshumaines.com
Le milliardaire Tim Blixseth a fait fortune dans le bois de construction. Parti de presque rien, il est devenu rapidement un magnat du secteur aux États-Unis. À l’âge de 40 ans, ayant revendu ses sociétés, il pouvait partir en retraite. Sa fortune est colossale, évaluée à 2 milliards de dollars. Il possède de somptueuses résidences secondaires, des avions privés, des yachts et des voitures de luxe. 105 personnes sont employées à son service pour entretenir tout cela !
T. Blixseth est l’un des personnages croisés par Robert Frank, reporter au Wall Street Journal, qui a mené une enquête sur les nouveaux riches américains : une population en plein boom qui forme un club désormais pas si fermé que cela. Le nombre des riches a en effet doublé en quinze ans passant, aux États-Unis, à plus de 8 millions de personnes. Cela représente tout de même l’équivalent de la population d’un pays comme l’Autriche. Et ces nouveaux riches forment comme un petit État que R. Frank s’est amusé à baptiser Richistan (1).
Les nouveaux milliardaires
Pour comprendre les humains, il est intéressant de les observer en situation extrême. La grande richesse en est une.
T. Blixseth n’a rien du milliardaire clinquant. Il ne s’habille pas chez les grands couturiers, mais porte jean et tee-shirt. Il ne circule pas à l’arrière d’une Rolls-Royce conduite par un chauffeur mais prend lui-même le volant d’une de ses Bentley. Il aime se décrire comme « un type normal ». Il est surtout très occupé. Depuis sa retraite, il n’est pas resté inactif. C’est un véritable « serial entrepreneur », un manager compulsif qui a fondé plusieurs sociétés en quinze ans. Son principal succès est la création de Yellowstone Club, un lieu de villégiature pour millionnaires installé dans le Montana, avec chalets de grand luxe, station de ski et terrain de golf.
T. Blixseth a aussi d’autres activités comme la gestion de sa fondation caritative ou l’animation d’une société de production musicale. Il ne se contente pas de produire de jeunes auteurs, il compose lui-même des chansons et ne se fait pas prier pour se mettre au piano en présence d’invités. Depuis qu’il est à la retraite, Tim n’a donc pas une minute à lui. Il travaille quinze heures par jour, autant que dans sa vie professionnelle antérieure. La plupart des riches rencontrés par R. Frank sont ainsi : des rentiers très actifs. Certains deviennent business angels, investissent dans de nouvelles sociétés et aident les jeunes entrepreneurs à démarrer. D’autres se lancent dans une deuxième carrière : musique, politique, écriture ou sport. Certains rachètent un club sportif coté en bourse ; d’autres créent et gèrent leur fondation comme une entreprise.
Première énigme : pourquoi des gens qui pourraient se payer le luxe de flâner des journées entières à jouir de leurs biens éprouvent-ils le besoin de s’activer autant ? Pour une raison simple et fondamentale que l’enquête de R. Frank montre bien : paradoxalement, les rentiers milliardaires souffrent du même mal que les chômeurs et les retraités. En se retirant de la vie active, ils perdent un ingrédient essentiel de l’existence : une place dans la société. Pas facile de décrocher quand vous avez eu des responsabilités, un staff de collaborateurs, une ou deux secrétaires. Les millions de dollars ne suffisent pas à résoudre un besoin humain élémentaire : jouer un rôle social qui permet d’exister à ses yeux et à ceux des autres. T. Blixseth le dit à sa manière : « Il faut bien que je serve à quelque chose. »
Dans l’Antiquité grecque et romaine, les aristocrates aisés tenaient en mépris le travail, celui-ci réservé aux esclaves et aux gens du peuple. Mais, pour autant, les puissants se devaient d’être utiles en participant aux assemblées, en servant dans l’armée (ou au moins en la finançant), en organisant des spectacles gratuits comme les liturgies ou chorégies en Grèce ou les jeux du cirque à Rome (2). Un riche digne de ce nom se doit donc d’être généreux et utile à sa société.
La parade
La dépense somptuaire représente l’autre trait le plus apparent de la richesse (3). L’arsenal du riche se montre assez constant au cours du temps : résidences (palais et châteaux), vêtements et bijoux, objets d’art, moyens de transport (voitures de luxe, yachts et jets privés), réceptions, voyages. Le propre de la consommation ostentatoire est plus d’« épater la galerie » que répondre à un besoin matériel. On n’achète pas une montre Franck Muller à 200 000 euros uniquement pour avoir l’heure précise – ce que n’importe quelle montre de bazar fait très bien – mais pour se mettre en valeur. « Le but de la possession est de démontrer la puissance de son propriétaire (4). » De même que le vêtement de marque ne sert pas à seulement à s’habiller et à tenir chaud. D’où ce paradoxe des biens de luxe appelé « effet Veblen » par les économistes : plus leur prix est élevé, plus ils attirent la demande.
Thorstein Veblen a publié la Théorie de la classe de loisir en 1899. Cette classe de loisir dont il parle est celle des rentiers, jamais si nombreux qu’au tournant du xixe et du xxe siècle. Cette nouvelle classe se compose alors d’une ancienne aristocratie en déclin et d’une nouvelle bourgeoisie enrichie dans les affaires – banque, commerce, industrie – avec la révolution industrielle. C’est l’époque où les classes aisées se rencontrent dans les hôtels et casinos des stations balnéaires, lors de croisières sur les paquebots, dans les stations d’hiver des Alpes ou encore sur les hippodromes. En ville, on donne des réceptions qui sont l’occasion de montrer combien sa résidence est belle, la décoration recherchée, les tenues vestimentaires élégantes, la cuisine et les vins raffinés.
Entrer dans le gotha
C’est l’occasion aussi de montrer son importance à travers celle de son réseau d’amis. Tout l’art de Marcel Proust qui a vécu dans ce monde des rentiers du début du xxe siècle. Du côté de chez Swann (1913) met en scène le salon de madame Verdurin fréquenté par une petite bourgeoisie parisienne composée de nouveaux riches et de petits notables. Madame Verdurin rêve par-devers elle d’accéder à un nouveau statut : entrer dans le gotha des grands salons parisiens où se côtoient aristocrates et grands bourgeois. Et si Swann lui fait l’honneur de venir à ses réceptions, c’est parce qu’il est attiré par la présence de la jeune et belle Odette. Proust décrit avec beaucoup de finesse l’univers des salons mondains parisiens où l’on ne vient que pour se faire voir et valoir, où l’on côtoie des aristocrates flamboyants (parfois sans le sou) et de riches parvenus en quête de notabilité, où l’on aime inviter des artistes ou des écrivains à sa table.
Les stratégies de distinction des élites, racontées par Proust et théorisées par Pierre Bourdieu, s’inscrivent dans le cadre d’un microcosme social très stratifié. Les signes de reconnaissance, souvent très subtils, sont autant de façon de mesurer la place de chacun dans une hiérarchie. Le monde du Richistan est composé de nombreuses strates se distinguant entre elles par le niveau de richesse et de prestige qui détermine assez précisément votre rang social. Les clubs de golf très selects à 20 000 dollars l’abonnement annuel ont été dépassés ces dernières années par des clubs à 50, 100 et même 500 000 dollars l’inscription annuelle ! La taille du yacht n’a cessé également de grandir – il existe des listes d’attente de deux ans pour avoir un yacht de 70 mètres, reléguant au rang inférieur ceux qui paradaient fièrement naguère avec leur yacht de 30 mètres. Vu de loin, tout cela peut paraître dérisoire. Sauf à considérer que l’on touche à une corde très sensible de la psychologie humaine.
Les stratégies de distinction peuvent s’expliquer sur le plan psychologique en terme de « lutte pour la reconnaissance (5) ». Cette soif de reconnaissance pousse chacun à rechercher le regard, l’attention et l’admiration d’autrui. Elle prend la forme d’une lutte car elle se situe toujours dans le cadre d’une rivalité avec d’autres.
La reconnaissance par la philanthropie
Les psychologues parlent de « conflit des ego », René Girard de « rivalité mimétique (6) ». Richard Conniff, auteur d’une Histoire naturelle des très très riches, pense même que ce besoin irrépressible de se faire valoir auprès d’autrui relève d’un instinct social ancré déjà dans le monde animal (7). Les pratiques ostentatoires des riches relèveraient de la même logique démonstrative que la parade du paon. On étale ses biens à la vue d’autrui comme le cerf arbore ses bois ou le gorille son dos argenté. Il ne s’agit de rien d’autre que d’impressionner ses rivaux et de séduire des partenaires. Dans les années 1930 se produisit une bataille épique entre Chrysler et ses rivaux pour savoir qui allait construire la plus haute tour de Manhattan. Au Moyen Âge, les riches évêques des villes d’Île-de-France se livrèrent une bataille symbolique pour construire la cathédrale la plus haute. Les pharaons égyptiens voulaient la pyramide la plus élevée, alors qu’en Mésopotamie, les rois faisaient édifier des ziggourats toujours plus monumentales.
Pour les milliardaires américains d’aujourd’hui, qui se font construire des yachts, « la taille compte » (R. Frank). Vu de loin, ses querelles d’ego peuvent paraître bien dérisoires. On peut mieux les comprendre en la rapportant à un monde plus ordinaire. Admettons que vous faites partie du service clientèle d’une PME. En quelques mois, deux de vos collègues de bureau connaissent une promotion assortie d’une augmentation. Dans l’absolu, votre statut et votre salaire n’ont pas changé ; vous n’avez donc rien perdu. Mais vous avez régressé par rapport à eux. Sauf à admettre que vous êtes moins bon qu’eux, il existe de fortes chances pour que vous ressentiez du ressentiment et un manque de reconnaissance de votre propre valeur. En psychologie sociale, on appelle ce phénomène l’« effet de comparaison sociale ». À tous les échelons de l’échelle sociale, ce n’est pas au vu de notre position absolue que nous jugeons de notre propre réussite, mais au regard de celle des gens qui nous sont proches.
La reconnaissance par la philanthropie
Mais il est une autre façon plus noble d’accroître son prestige. Plutôt que de parader dans les salons et d’étaler sa fortune, le meilleur investissement pour obtenir la reconnaissance universelle est encore d’en redistribuer une partie au profit d’une bonne œuvre, ce que font nombre de milliardaires américains rencontrés par R. Frank. Ils investissent massivement dans la philanthropie, très ancrée dans l’esprit américain. Au début du siècle, John Rockefeller, le magnat du pétrole, reversa une grande partie de sa fortune dans la création de la fondation qui porte son nom, consacrée à l’éducation et la recherche. Trois ans auparavant, Andrew Carnegie, le magnat de l’acier, avait créé sa propre fondation pour la paix universelle (1906). Henry Ford fera de même en 1936. Aujourd’hui, la tradition se poursuit avec Bill Gates, Warren Buffet (encadré p. 46). Et les nombreux jeunes milliardaires de la nouvelle économie ne sont pas en reste. L’anthropologue Marc Abélès leur a même consacré une belle monographie (8).
Quoi de plus gratifiant pour un manager qui a passé sa carrière dans le monde des affaires, souvent brutal et implacable, que de se retrouver tout à coup au côté de quelques enfants pauvres et malheureux et de pouvoir, d’un coup de baguette magique (le stylo Montblanc et un carnet de chèques), changer le cours de leur vie en leur donnant l’accès aux soins et à l’éducation dont ils sont privés. Créer une fondation, donner une partie de son temps et de son argent à une fondation humanitaire, voilà à coup sûr le moyen de se racheter de toutes ses fautes, de devenir un héros, un saint, un bienfaiteur de l’humanité. Lier son nom pour des générations à une bonne œuvre : un hôpital, une université et des bourses pour les plus démunis. C’est le moyen d’atteindre une forme de gloire pour l’éternité.
C’est humain, mais c’est ainsi. Que voulez-vous, les riches sont des gens comme les autres, ils ne veulent pas simplement être riches, ils veulent aussi être reconnus. De plus, ils en ont les moyens.
Par: Jean-François Dortier
Sur: www.scienceshumaines.com