Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
Quand on aime, on compte ! (publiée le 26 septembre 2017)
Instrument de valorisation et de pouvoir, l’argent ne facilite guère la paix des ménages et révèle des conflits latents. Comment tenter de les régler ?
 
Avec la sexualité, l’argent est sans doute l’un des sujets les plus épineux dans la vie d’un couple. Ou l’on en parle trop et il alimente brouilles et conflits permanents. Ou l’on n’en parle pas parce qu’il est tabou. Au nom de vieilles croyances – « quand on aime on ne compte pas » –, on préfère taire nos ressentiments plutôt que de paraître mesquin. Pudeur oblige ! « Peu de couples arrivent à être parfaitement au clair avec le sujet », souligne Marie-Adèle Claisse, psychothérapeute et auteur de “Dites oui à l’argent” (1). « L’argent, comme la sexualité, a des fonctions affectives et symboliques qui vont bien au-delà de la satisfaction des besoins immédiats », explique le psychiatre Willy Pasini, dans “A quoi sert le couple ?” (2). Aussi, la manière dont il est géré en dit-il long sur la nature de la relation entre deux conjoints. « Quand l’argent pose problème dans le couple, il ne vient généralement que concrétiser ou amplifier un conflit préexistant », confirme Bernadette Blin, psychothérapeute.

Le manque de reconnaissance des mères au foyer
Le pouvoir octroyé par l’argent conduit à tenir le travail salarié pour une activité nettement plus noble que les diverses tâches liées au travail domestique. Nombre de femmes au foyer pâtissent de ce manque de reconnaissance. Et d’autant plus si elles ont pour compagnon un homme doutant de sa masculinité. Pour lui, sa fiche de paye constitue la principale source de valorisation et d’estime de soi. En pareil cas, des conflits ne pourront que surgir, fondés sur une croyance implicite : « Je gagne plus que toi, donc je vaux plus que toi. » Marc, contrôleur de gestion, gagne 3800 € bruts par mois. Sa femme, Annie, s’occupe de leurs deux enfants (quatre et deux ans). « Nous avons un compte commun dans lequel je pioche pour toutes les dépenses, explique-t-elle. Pour mes achats personnels, je prends le minimum car je me sens redevable envers Marc qui me fait souvent sentir que j’ai la belle vie : “Pendant que je “rame” dans mon boulot, dit-il, tu te promènes au parc avec les petits.” » Conforté dans la certitude qu’il fait tout, le salarié du couple peut en venir à penser qu’il se sacrifie pour une ingrate qui se prélasse pendant qu’il trime. « Les hommes ne réalisent pas que s’occuper d’une maison, c’est un travail à part entière, analyse Marie-Adèle Claisse. Pour eux, c’est normal puisqu’ils l’ont vu faire depuis des générations. » Comment la femme peut-elle sortir de ce malaise ? Tout d’abord, son choix de se consacrer à sa famille doit être pleinement assumé par les deux conjoints. « Si je travaille, tu pourras dire adieu aux petits plats mijotés pour le dîner, aux chemises repassées au pied levé ; et les enfants devront oublier les longs câlins après la sieste… » Ensuite l’épouse doit chiffrer sa contribution matérielle. Mais la plupart du temps, inhibée par les discours culpabilisants de son compagnon, reflets de l’opinion commune, elle n’ose pas. « Bien souvent, au nom de l’amour, de l’intimité et de la générosité, tout ce qui concerne les finances reste flou, constate Jacques Salomé dans “Jamais seuls ensemble” (3). Cependant, de part et d’autre, de vagues sentiments d’exploitation ou de dépouillement entretiennent des malaises et des ressentiments souterrains. » Pourtant, entre les économies de frais de garde, de ménage et l’indemnité de congé parental, Annie apporte une contribution de quelque 1100€ par mois.

Si la femme a le plus gros salaire
Traditionnellement, les femmes étaient dépendantes de leur mari. Mais, aujourd’hui, on assiste de plus en plus souvent à une inversion des rôles. Cette nouvelle donne pousse de nombreuses femmes à prendre leur revanche sur le « pouvoir » mâle. D’où l’émergence d’une revendication phallique féminine, remarquée actuellement par les psys. « L’homme c’est moi », déclarent-elles. Un fantasme qui demeure souvent inconscient mais qui insidieusement conduit à une dévirilisation du partenaire, une sorte de « castration ». Murielle gagne 3050 € nets par mois et Jean, moitié moins. Chacun dispose d’un compte personnel. Quant au budget familial – ils ont trois enfants –, il est géré sur un compte commun. « J’assure les restos, les cinés, les voyages. Autrement dit, Jean dépend de moi pour les extras et il le vit mal, raconte Murielle. Un exemple récent : nous voulons changer notre canapé. Celui qui plaît à Jean coûte 3800 €. Je lui ai dit que je le trouvais trop cher et que nous n’en avions pas les moyens. On a discuté longtemps jusqu’au moment où j’ai craqué : “De toute façon, tu n’as rien à dire, c’est moi qui paye !” » « Quand l’homme gagne, durablement, nettement moins que la femme, le risque est grand de voir ce dernier prendre une place d’enfant ou d’objet, observe Marie-Adèle Claisse. Cette infériorisation se produira notamment si l’homme a lui-même tendance à se dévaloriser, s’il a du mal à s’affirmer.» Murielle aurait pu proposer : « Avec ce que je gagne, je ne peux pas payer ce canapé. Si tu y tiens vraiment, peut-être pourrais-tu faire un emprunt pour que l’on partage les frais. » Ainsi, plutôt que de lui clouer le bec, elle le renvoyait à ses responsabilités et le mettait face à un choix. Il retrouvait une marge de manœuvre. « L’argent a le pouvoir qu’on lui donne, résume Marie-Adèle Claisse. Aux femmes aussi de se questionner sur ce qu’elles recherchent dans leur relation de couple. Ont-elles réellement envie d’un homme face à elles ? »

La difficile épreuve du chômage
Il y a des événements qui mettent le couple à rude épreuve. Le chômage en est un. Car l’inactivité forcée modifie l’image que l’on a de soi et de l’autre. « L’énergie du chômeur est investie dans sa blessure narcissique, souligne Jacques Salomé. Il se replie sur lui-même, perd son appétit sexuel, se désintéresse de tout. » Ce qui ne manque pas de raviver chez le conjoint insatisfactions et sentiment d’insécurité. « Très vite, il va reprocher à l’autre de ne plus gagner assez d’argent, observe Marie-Adèle Claisse. Non pas ouvertement, mais sous forme de petits reproches : “Tu pourrais t’occuper des étagères, quand même !” ; “Tu n’as pas fait les courses ?”... L’aigreur s’installe et les humiliations quotidiennes mettent l’autre en situation d’infériorité. » Sans oublier les inévitables restrictions induites par le chômage. Imaginez un couple dans lequel les distractions onéreuses ou les cadeaux coûteux servaient à masquer – ou du moins, à rendre tolérable – un manque de communication ou une mésentente fondamentale. Ce couple-là aura probablement davantage de difficultés qu’un autre à assumer les frustrations matérielles.

Comptes personnelsou compte commun ?
Le pouvoir n’est pas toujours l’apanage de celui qui gagne l’argent. Dans bien des couples, l’un approvisionne le portefeuille, mais l’autre tient les comptes… « En contrôlant les dépenses de son conjoint, l’homme – ou la femme – assouvit son besoin de maîtrise », explique Bernadette Blin. Pierre est passionné de musique. Il s’achète régulièrement des disques et au cours des deux dernières années, il s’est offert une chaîne hi-fi performante et deux guitares. Sandrine, sa femme, ne supporte pas de le voir « claquer » ainsi tout son argent (personnel). Elle le trouve égoïste et aimerait qu’il économise « pour les enfants plus tard ». Mais lui ne désire nullement sacrifier sa passion. Jusqu’où l’argent de l’autre est-il le mien ? Jusqu’où ai-je le droit de m’immiscer dans la gestion de son portefeuille ? La question se pose dès le mariage lors du choix du régime matrimonial. Seule une minorité de couples (environ 10 %) choisit la « séparation de biens » : en cas de divorce, chacun récupère sa mise pour les biens acquis ensemble après le mariage. Une importante majorité choisit la «communauté de biens réduite aux acquêts » : ce qui a été acquis après le mariage appartient de façon égale aux deux époux. « Opter pour le premier régime signifie que l’on pense possible une séparation, observe Marie-Adèle Claisse. Ce qui peut faire croire à l’un que l’autre se méfie de lui, générant une certaine angoisse. » Quand on se marie, on est plutôt dans l’idéalisation de la relation, le rêve, la fusion. Les comptes et la gestion s’accommodent mal avec cette idée de l’amour. « On s’imagine qu’il règle tout, mais n’est-ce pas l’amour qu’il s’agit de protéger par des garde-fous ? », souligne Gérard Béthune, psychothérapeute. Opter pour la séparation de biens, c’est aussi s’envisager soi-même comme une entité à part entière. De même, dans la vie quotidienne, la majorité des couples opte pour le compte commun. Mais partager tout, c’est aussi partager les dettes et se donner mutuellement le pouvoir de contrôler les dépenses de l’autre. L’idéal, estiment les psys, est que chacun participe au budget commun au prorata de ses revenus et gère ses propres économies sur un compte à part. « Il s’agit là d’un bien personnel, écrit encore Jacques Salomé. Cet argent n’est dû à personne. Il appartient réellement à celui qui peut en disposer sans culpabilité, sans état d’âme… pour se faire plaisir ou faire plaisir à qui bon lui semble. »

L’un est dépensier, l’autre pas
Conserver un compte personnel ne suffit pas toujours à garantir le respect de l’autonomie et de la liberté de l’autre. « Notre relation à l’argent se construit dans l’enfance en fonction des croyances et des messages que nous ont transmis nos parents, explique Marie-Odile Steinmann, psychothérapeute. Certains ont été élevés dans la peur de manquer, d’autres dans l’abondance. Si les deux conjoints ont ainsi une perception du monde différente, l’incompréhension surgit. » Sandrine a beau savoir que son mari achète ses disques et ses partitions avec son argent personnel, elle ne peut s’empêcher de lui en tenir rigueur. « Sandrine attend de son mari qu’il la sécurise, observe Bernadette Blin. Sa demande se porte sur l’argent mais son besoin est d’apaiser son insécurité intérieure. » Face à un partenaire irresponsable qui vide la tirelire du foyer, on est en droit de râler. Mais s’il ne fait que dépenser son propre argent, il est préférable de s’interroger : pourquoi cela m’angoisse-t-il de voir mon conjoint s’offrir des cadeaux ? Est-ce que je m’accorde ce droit-là ? Pourquoi l’argent me brûle-t-il les doigts ? « Par un effet miroir, l’attitude de notre partenaire nous aide à prendre conscience de nos angoisses profondes, estime Marie-Odile Steinmann. Quand il (elle) dépense, il (elle) vient réveiller ma peur de manquer. Quand il (elle) épargne, il (elle) me rappelle mes parents qui mettaient tout leur argent de côté “en cas de coup dur”. Une remise en question qui nous amènera sans doute à adopter un nouveau comportement face à l’argent. » L’essentiel pour un couple est de s’engager sur des bases saines : des valeurs communes, le sens des responsabilités, la compréhension et le respect réciproques. « On ne peut former un couple à l’inverse de ce que l’on est », souligne enfin Marie-Adèle Claisse. Autrement dit, si vous êtes plutôt du genre « près de vos sous », inutile de vous acoquiner avec un flambeur !

(1)- Editions Montorgueil (épuisé, à consulter en bibliothèque).
(2)- Odile Jacob, 1996.
(3)- Les Éditions de l’Homme, 1995.

Divorce : peines de cœur et peines d’argent
Une séparation difficile se traduit toujours par des conflits autour de l’argent : partage des biens, montant de la pension alimentaire et de la prestation compensatoire (destinée à rééquilibrer la baisse du niveau de vie de l’un des conjoints s’il ne travaillait pas avant le divorce). « Toute séparation implique un deuil psychologique, note Willy Pasini. Ceux qui n’en sont pas capables se servent parfois de l’argent pour prolonger artificiellement un rapport qui n’existe plus. » Mais avant de passer devant le juge, il est possible d’éviter le conflit en consultant un médiateur familial. « Un cas est fréquent : celui de la femme blessée et décidée à demander une prestation compensatoire très élevée, explique Brigitte Teitler, médiatrice à l’Aadef (1). En amenant le mari à entendre et à reconnaître la souffrance de son épouse, nous permettons à celle-ci de se sentir mieux comprise et, généralement, son exigence financière diminue. Autre cas de figure : l’homme quitté, qui refuse de payer une pension alimentaire. Nous lui expliquons qu’il s’agit là d’un acte de responsabilité vis-à-vis de ses enfants, ce qui l’incite à reprendre sa place de père. C’est en donnant du sens aux actes que nous aidons les couples à prendre conscience de ce qui se joue et à trouver des solutions équitables pour les deux conjoints. »

1- Aadef Médiation 93 : 4, rue Paul Eluard, 93000 Bobigny. T. : 01.48.30.21 21.

Le prix du désir
Toute chose est-elle à vendre, y compris le désir, l’amour, l’identité de chacun ? C’est cette question que Lætitia Masson met en scène dans son second long métrage, “A vendre”.En quête d’elle-même, France Robert (Sandrine Kiberlain) cherche dans l’argent la clef de ses incertitudes sur les autres, sur ses sentiments et son histoire. Dès sa première rencontre amoureuse, elle exige de son partenaire qu’il la paye en garantie de son amour. Dans cette attitude, France ne voit ni commerce d’un corps, ni marchandage sordide. L’argent réclamé vient plutôt fonder son désir, la rassure sur la vérité de son identité et l’accompagne dans la conquête d’elle-même. L’argent s’apparente ici à une prothèse masquant la fuite, l’effondrement et la perte de repères d’une jeune femme. En même temps qu’il est le promoteur d’un lien, la promesse d’une liberté possible.


Par : Cécile Dollé
Sur : www.psychologies.com